17avr. 2021

Avis sur l'aNueNue Super Lani CT

Corps de l'aNueNue Super Lani CT, avr. 2021Chronique aujourd'hui d'un brave compère que j'ai acquis d'occasion, il y a un peu plus d'un an, et qui me ravit depuis. Il s'agit du beau ténor aNueNue Super Lani CT.

Ce ukulélé, à table en cèdre massif, au dos et éclisses en koa laminé, au design travaillé, offre de vraiment belles prestations et un superbe rendu sonore. Découvrez-le décrit en détail de ce billet.

Un peu de contexte

La marque aNueNue
La compagnie aNueNue (mot hawaïen signifiant 'arc en ciel') a été fondée en 2008 à Taiwan. Les instruments, conçus par les équipes Taiwanaises puis ensuite réalisés en Chine, se révèlent généralement d'une qualité assez remarquable. La marque se positionne plutôt sur une gamme de prix relativement onéreuse (globalement entre 300 et 1300 euros) et produit donc des instruments adressés à une clientèle mélomane et exigeante. J'ai parcouru de nombreux tests des ukes réalisés par aNueNue, et je ne crois jamais être tombé sur un avis franchement négatif.
La marque s'est ouverte au marché américain en 2020, avec comme ambassadeurs Kalei Gamiao et Corey Fujimoto, qui sont justes des demi-dieux du ukulélé (je vous invite à visionner leurs prestations sur les plateformes de vidéo-partage les plus connues).

Mon Super Lani
L'année dernière, j'avais décidé de m'offrir un petit Motu. Le jour où j'étais pleinement convaincu et que j'allais passer commande au luthier Sylvain Enjoubaut, j'ai fait un petit détour sur un site de petites annonces, à l'occasion d'un trajet en métro. Qu'y ai-je trouvé ? Un uké que j'avais repéré auparavant dans une vidéo de 2014, où le même Kalei reprenait le titre Titanium de David Guetta d'une manière assez magistrale. Aussi, en bonne girouette, j'ai pris rendez-vous avec le vendeur pour le soir même, et ai relégué l'achat du uku de l'Ile d'Oléron à de futures pérégrinations. Le ukulélé que j'ai alors découvert avait déjà un peu de vécu, de belles traces d'usage prouvant que la bête avait été jouée et rejouée et n'était pas oubliée dans un placard depuis des mois. Je n'ai pas hésité un instant dès que je l'ai eu en mains. 

Spécifications

Voici les caractéristiques affichées pour ce beau ténor :
- Table en cèdre massif
- Chanfrein de confort (au niveau de l'avant-bras) 
- Découpe (cut away) permettant un accès aisé aux notes aigües
- Fond et éclisses en koa laminé
- Manche en acajou
- Touche en palissandre, avec des repères crèmes (en érable ?)
- Chevalet en palissandre
- Sillets en os synthétique
- Mécaniques aNueNue (rappellant des Grover)
- 19 frettes
- Finition satinée au rendu très naturel (open pore)
- Filet sombre autour de la table (palissandre certainement)
- Motifs tribaux en guise de rosace
- Cordes montées à l'origine en fluocarbone (ClearWater)
- Fournie avec une housse aNueNue noire

Design, esthétique et finitions

Mon ténor a de la bouteille. C'est un vieux beau qui mérite qu'on le gratouille affectueusement. Voici les belles prestations qu'il propose :

Le corps
Bien sûr, il faut saluer la qualité de la table en cèdre de ce Super Lani, mais avant cela, c'est le design du corps de l'instrument qui m'a tout de suite frappé. Côté confort, on note immédiatement le chanfrein permettant à l'avant-bras assurant le strum de se reposer confortablement sur la caisse, ainsi que la découpe particulièrement bien réalisée pour donner un meilleur accès au bas du manche. Ensuite, on remarque le volume assez particulier de l'ensemble de la caisse, avec une conception vraiment asymétrique : elle est très nettement plus large sur le bas de l'instrument.

Vues de l'aNueNue Super Lani CT, avr. 2021

La table d'harmonie, très résonnante, est d'une jolie couleur miel. Les éclisses (en deux pièces très discrètement assemblées), ainsi que le fond, sont censés être en koa laminé (sur les modèles plus récents, les SLST, aNueNue référence désormais de l'acacia taiwanais). Ce point devrait me faire plaisir, mais dans les faits, je ne suis pas convaincu. Je ne vois pas pourquoi gâcher ce noble et rare acacia des îles Hawaii à produire du laminé. L'esthétique est réussie, mais il s'agit vraisemblablement d'un simple placage, aussi son incidence sur le son - sans être nulle - ne saurait être absolument majeure.

Le filet sombre qui entoure la caisse est très bien posé et se marie bien à l'ensemble de l'instrument. A mon avis, la seule faute de goût (mais il s'agit là d'une appréciation purement subjective) est la frise composée de motifs tribaux qui constitue la rosace décorative. Les petits sujets représentés sont assez vilains, la gravure au laser est relativement mal réalisée. Vous colleriez un autocollant "J'peux pas, j'ai poney" sur un coupé BMW Z4 ? Moi non ... Cette décoration un peu maladroite me fait le même effet.

Le chevalet apposé sur la table est équipé d'un sillet compensé. Sa forme, rappelant un peu une bouche, donne au ukulélé un côté souriant, joyeux, très sympathique. En étant hyper pointilleux, je noterai ce design arrondi du chevalet complique un petit peu la gestion des excédents de cordes. On ne peut pas plaquer les petits bouts qui dépassent le long d'une surface rectiligne. Il faut les couper à ras, ou laisser des boucles, reliquats apparents.

Le peu que je vois de l'intérieur me semble très bien assemblé. Pas de traces de colle ni d'échardes visibles. Tout semble fait ultra proprement. L'étiquette que l'on distingue est amusante et colorée, elle fait mention du modèle, 'Super Lani CT'. Pas de date, ou du moins d'année de production, ce que j'aimerai voir systématiquement figurer. Le numéro de série est apposé sur un sticker collé derrière la tête. C'est un minuscule détail, mais je n'aime ni l'idée d'apposer un autocollant sur du bel acajou, ni le fait de ne pas trouver cette info sur l'étiquette principale. 

Sniffons, reniflons ensuite avec entrain le cœur de cet instrument... Pas mal, mais sans plus : difficile de définir une fragrance particulière.

Un bouton de fixation pour sangle est déjà positionné sur la caisse. Bon point, cela évite d'en ajouter un par soi-même, ou - plus sûr - d'en faire poser un par tiers aguerri.

Autres vues de l'aNueNue Super Lani CT, avr. 2021

Le manche et la tête
Le manche est en acajou. On distingue une jointure assez bien dissimulée au niveau du talon. Je ne vois rien du côté de la tête. Celle-ci est ajourée, rappelant certaines guitares classiques. Cette configuration a la préférence de certains, qui estiment qu’une telle disposition favorise un angle plus marqué des cordes au niveau du sillet, et donc leur meilleure tension au globale.
Les axes des mécaniques sont, de fait, intégrés dans la tête et donc parallèles aux frettes. Elles ne sont pas perpendiculaires au plan global du ukulélé, comme dans le cas de ceux équipés de tête pleines. Le changement de cordes est peut-être un brin plus compliqué sur le type de configuration présente ici, mais le tour de main (c'est le cas de la dire !) se prend très vite.  

Les mécaniques ouvertes à écrous, élégantes et vintage, sont de très belle facture. Elles sont gravées 'aNueNue' mais rappellent réellement des Grover (séries 97 ou 98). Elles sont très efficaces et assurent une excellente tenue de l'accordage. La tête, plaquée en palissandre, est incrustée de l'amusant logo de la marque (un bonhomme dansant), en érable ou cèdre (couleur crème). Elle s'harmonise très bien avec l'ensemble de l'instrument.

La touche me semble être également en palissandre, chapeautée d'un sillet en 'os synthétique' (certainement en Graph Tech Nu Bone, que l'on trouve sur la plupart des instruments de bonne facture). Certains sites référencent ce modèle avec une touche rapportée en ébène, mais je n'ai vraiment pas l'impression qu'il s'agisse ici de ce bois. Certes, celui présent est assez sombre, mais des zones sur la tranche me laissent vraiment penser à du rosewood. Il y a 19 frettes, 14 jusqu'à la jonction avec la table, disposées selon un long diapason et offrant donc de la place pour les gros doigts. Bien évidemment, l'accès aux frettes positionnées sur le corps est beaucoup plus aisé du fait de la découpe prévue à cet effet. Des repères crèmes ornent les case 5, 7, 10 et 12. Ils sont rappelés sur la tranche par de petits points. Les frettes sont parfaitement posées et polies.

Au sillet, nous avons une largeur de 36 mm. Classique, mais on pourrait éventuellement s'attendre à un peu plus sur un ténor. Le profil du manche bien qu'assez rond, me semble un brin plus plat que beaucoup de modèles réalisés en Chine (qui reposent souvent sur des spécifications généralement assez voisines). Enoncées ainsi, les caractéristiques de ce manche ne mettent pas particulièrement l'eau à la bouche, pourtant celui-ci ne démérite absolument pas. Il est très confortable, tombe idéalement en main et sous nos doigts habiles (ou maladroits aussi). Il ne m'a jamais suscité ni fatigue ni crampes particulières. Rien à reprocher à l'intonation ou à la hauteur des cordes, qui sont très justement configurées.

Les cordes
Ce ukulélé n'est vraisemblablement plus produit. Son cousin, le Super Lani ST, est délivré de nos jours avec des fluocarbones Clear Water. J'ai testé dessus des cordes nylon, en accordage standard, ce n'était pas formidable : tenue d'accordage minimaliste, son 'chamalow'. Je n'aime pas trop les nylons classiques, donc ma perception certainement un peu biaisée.

Je suis actuellement en Aquila Red (je vous invite à parcourir mon billet sur le sujet). Il sonne très bien avec, mais souffre des désagréments de ces nylguts rouges (crissements des doigts dans certaines conditions). Je le testerai sous peu avec de fluorcarbones en low G car j'ai un jeu d'Addario qui dort dans mes tiroirs.

Qualité sonore et confort de jeu

Mon ami le Lani délivre un joli son riche et puissant. Avec une excellente projection, un très bon sustain et des notes qui se détachent très clairement, il me semble exceller en arpèges et fingerpicking. De la bête émanent de jolis aigus et de profonds graves. Monté en low G, son corps vibre contre vous comme un matou ronronnant. Il fait également un travail très satisfaisant en rythmique, struming. Les chunks et étouffés se reflètent bien, ne sonnent ni trop mat ni ternes. Il doit, de même, faire le job pour les amateurs de jeu percussif (auquel je me frotte peu) : le précédent propriétaire, qui jouait du flamenco avec bonheur en entrain, m'a laissé ses marques de millier de battements répétés en divers points de la table.

Ce ukulélé est très confortable et l'on peut s'accorder de longues sessions de jeu avec lui sans ressentir de fatigue. Il est parfaitement équilibré en n'a aucune tendance à basculer ni vers le manche, ni vers l'avant ou l'arrière. Toutefois, le design un peu particulier de son corps mérite que l'on précise quelques points. Bien qu'il soit assez léger, je recommande l'utilisation d'une sangle pour en jouer debout, notamment si vous avez plusieurs autres ukes. En effet, le cumul de son gabarit de ténor, de sa forme moins conventionnelle et du chanfrein de confort (qui évite que la tranche morde dans votre bras) font qu'il pourrait parfois vous glisser des mains. Ce risque est minime si on le joue tous les jours et qu'on le connait par cœur... Mais lorsque l'on passe d'un uke lambda à celui-ci par exemple, il y a moyen d’être perturbé. Idem, si vous jouez assis, en faisant reposer l'instrument sur votre cuisse, vous trouverez peut-être l'équilibre assez particulier par rapport à d'autre références.

Le travail sur le corps pour améliorer l'accès aux aigus ne m'apporte pas grand chose sur ce plan, car peu importe l'instrument, je ne sais rien produire d'harmonieux passée la 14e frette. En revanche j'adore la latitude, l'amplitude que cela apporte pour certains strums en bas de manche. Aussi, quand je repasse sur d'autres compères à 4 cordes après une sessions d'aNueNue, il m'arrive de faire buter mon majeur sur la caisse du remplaçant.

Equipement complémentaire

Le Super Lani CT était fourni avec une housse noire de très belle facture. La mienne est encore en très bon état après des années d'usage.

Prix et disponibilité

Je ne trouve plus de référence neuve de ce modèle sur les moteurs de recherches. Il a disparu du site AnueNue depuis quelques mois. Je pense donc que ce Super Lani CT n'est plus produit. Il me semble qu'il était affiché, à l'origine, entre 400 et 500 $. C'est dans cette grille de prix que l'on doit pouvoir trouver son cousin germain le ST, dont la table est en épicéa.
Malheureusement, les ukulélés aNueNue ne sont pas vraiment aisés à trouver en France : il faudra certainement vous tourner vers les boutiques en ligne et un achat à l'étranger si vous en cherchez un.

Conclusion

Le aNueNue Super Lani CT est un ténor de belle facture, à table en cèdre massif et corps en placage koa. Son design léché le sort un peu d'une large masse des ukulélés asiatiques qui se ressemblent souvent ou peuvent présenter une finition discutable. Les éléments ajoutés ne sont pas uniquement esthétiques, mais apportent confort et richesse dans le son. Ses performances sonores sont ainsi tout à fait à la hauteur, et il ravira notamment les passionnés de fingerpicking, avec ses notes détaillées et profondes.

On pourra lui reprocher :
- Qu'il ne se fasse plus, il faudra alors loucher sur son homologue en épicéa pour en trouver un neuf.
- Que sa rosace ait l’air dessinée par un enfant de cinq ans.
- L'hérésie du plaqué koa (désormais aNueNue parle d'Acacia Taiwanais, ce qui me chagrine moins).

Note ukulely : 80/100
- Matériaux et accastillage : 16/20
- Esthétique et finitions : 17/20
- Qualité sonore : 17/20
- Confort de jeu : 16/20
- Rapport qualité/prix et équipements : 14/20

Recommandation d'achat :
Neuf : Non, car vous ne le trouverez pas.
Son cousin le SLST ? Pourquoi pas, mais à plus de 400 €, il existe de très sérieux rivaux. Le Flight Victoria, qui lui ressemble beaucoup, me paraîtrait peut être une meilleure affaire, notamment si l'on considère l'éléctronique originale qu'il peut intégrer dans sa version soundwave. (A voir si la qualité de la lutherie et la finition sont comparables bien sûr).
Occasion : Oh oui, sautez dessus si vous le trouvez en bon état à moins de 200 €.

Nota
Ces notes et recommandations ne reflètent que mon avis actuel. Elles pourront peut-être évoluer après de futures rencontres avec de nouveaux instruments. Dans tous les cas, je vous invite à les considérer comme honnêtes et de bonne foi, mais à ne pas les suivre aveuglément. Si ce ukulélé vous intéresse, cherchez d'autres tests sur la toile et documentez-vous bien. Encore mieux, essayez-le avant de l'acheter, si cela est possible.

2 commentaires

1. Le 5 juin 2021, 21:14 par Uky

Hello, juste pour te dire que tu fais comme bon nombre une petite erreur entre le haut et le bas du manche car même si c'est peu logique le bas du manche est en haut vers la poupée (tête) et le haut du manche vers la caisse. En fait c'est plus relatif à la hauteur de la note. Il y a aussi une chtite coquille de français je ne sais plus où, bon pas bien grave...tu as de plus une belle plume.

Après perso je trouve qu'à 400€ c'est trop cher pour du laminé ! Même si effectivement le plus important c'est la table (qui représente 80-90% du son ). Tu as du très bon Kala all solid pour ce tarif. Un très bon joueur de uke sort à l'instant de chez moi et a essayé presque toute ma collection et a lui aussi de très bonnes impressions sur ces Kala All solid, il y en a notamment un avec table en cedre comme sur ton Anuenue et il est d'une precision remarquable avec la douceur du cedre vs l'épicéa plus clair mais plus incisif.
Et il a essayé les fameux Cort et Sigma et a été scotché ! Et parmi du très très bon et haut de gamme (Martin, Kamaka, Kaniléa, Koaloha, Godin, Rebel, Luthiers (vrais luthiers pas apprentis)).
Si tu es tenor le Cort en neuf te coutera 180 fdp inclus si tu suis le bon plan que j'ai donné sur le forum (Uky...les ukulélés Cort)
Ils sont "basiques" puisque copie conforme des Martin en all solid (Blackwood=Acacia Australien) mais pas moche du tout ils sont sobres, avec des binding comme les Martin C2 ou T2 et pas C1 ou T1...on est au niveau au dessus....

L'appellation Koa laminé était peut être usurpé car beaucoup de production chinoise à une époque appelait leur acacia Koa comme c'est de la même famille, mais il semble qu'un peu d'ordre ait été mis dans ce mic mac des appellations...après il faut aimer le vintage et ou la sobriété ce ne sont pas des uke bling bling y a pas d'ormeaux, d'abalone ou de perloid partout...mais ca dépend de ce qu'on recherche le bling bling ou une lutherie irréprochable mais moins "moderne" (Manche une pièce acajou, liaison dovetail, interieur nickel...)

Si tu veux du vrai Koa pour être sûr il faut tabler sur de l'Hawaiien ou de la grande marque qui ne peut pas tricher car contrôlée (Martin, Godin...)

Anuenue Nicolas de UkeShop Barcelona en vend et en dit vraiment le plus grand bien, je n'ai pas essayé donc je ne dirai rien quant au son mais sur la forme et la lutherie j'ai quelques reserves....

Beau billet cependant....

2. Le 7 juin 2021, 00:04 par Denis

Hello Uky.
Merci de ton retour.
J'ai beau le savoir, il m'arrive encore de me tromper entre haut et bas du manche, quand je n'y réfléchis pas à deux fois. Cela fait partie des choses que je trouve un peu contre-intuitives. (Tu verras que, dans d'autres billets, je n'ai pas fait l'erreur).

Effectivement, Cort et Sigma font très fort avec du tout massif à des tarifs très compétitifs. Quand je mettrai la main sur ces modèles, je les chroniquerai.