24avr. 2021

Test express d'un Caravelle Kitchen scarabée soprano

Matthieu, de Caravelle Kitchen, est un luthier modeste. Il se présente comme un amateur éclairé, aimant réaliser des Gaffophones, alors qu'il a déjà produit des centaines de superbes ukulélés, dont l'aura est grandissante sur certains forums de passionnés (ukulele-forum en particulier).
Celui-ci a mis à ma disposition, pour quelques jours, un modèle à la dénomination amusante : le scarabée. Cet instrument tout neuf, tout chaud sorti de son atelier, est bien sûr destiné à être vendu. Son créateur ne m'a posé aucune limite quant à l'utilisation du petit insecte, mais j'ai minimisé volontairement les sessions de jeu sur celui-ci, afin de ne pas risquer de le marquer. Le futur propriétaire mérite, en effet, de recevoir un uke impeccable. Aussi, je vous partage ici une chronique de cet amusant scarabée soprano, un petit peu moins fouillée que celles que je peux mener sur des ukulélés qui m'accompagnent sur de plus longues périodes.

Caravelle Kitchen scarabée soprano, avr. 2021

Spécifications

- Table en cèdre massif
- Fond et éclisses en acacia massif
- Manche (acajou ou acacia, je reconfirmerai)
- Touche en palissandre
- Clés à friction génériques
- 15 frettes (plus une frette zéro)
- Chevalet en palissandre avec sillet compensé
- Finition vintage, entre brillante et satinée
- Cordes GHS en nylon noir

Conception, esthétique

Ce ukulélé à un look super vintage, très agréable à regarder. La finition mixant verni celluloïd et Tru Oil (mélange conçu pour les crosses de fusil, mais qui donne de beaux résultats en lutherie également) lui confère un joli brun, chaleureux. La caisse de ce soprano, bien arrondie, au dos plat, affiche de jolies proportions. Le scarabée n'est pas le plus petit modèle produit chez Caravelle Kitchen, il existe un grillon, tout petit, tout menu.

Comme la plupart des bébêtes de Caravelle (tous?), il est intégralement fait de bois massifs. L'assemblage de ces matières nobles est très bien réalisé.
Les deux éclisses se referment sur le bas de la caisse en une surface relativement plane, la jointure avec la table en cèdre est quasi impeccable. Idem avec le fond en acacia. Le chevalet sombre se marie bien au beau brun de la table, la petite rosace ajustée sous les cordes apporte un bel équilibre avec sa simplicité sans fioriture.

Corps du Caravelle Kitchen scarabée soprano, avr. 2021

Le manche qui prolonge le corps a un beau profil, assez fin. Il est équipé d'une touche sobre en palissandre, aux frettes bien posées et poncées, avec des marqueurs perloïdes. Il propose 15 cases, dont 12 jusqu'au corps. Une frette zéro est positionnée après le sillet. Elle assure une hauteur d'action idéale au début de la touche.

La tête a une jolie forme traditionnelle, à trois pointes (rappelant un peu les designs Martin). L'absence de logo ou décoration donne un rendu chic et sobre, mais le tout paraît peut-être un peu nu. Elle est équipée de clés à friction avec des boutons noirs, dont je n’ai pas identifié le modèle exact. Logiquement au ratio 1:1, elles sont sérieusement fermes. L'accordage, sans être malaisé, est vraiment exigeant sur ce petit animal. Quelques degrés de rotation du bouton peuvent vous faire passez d'une note trop grave à une franchement trop aigüe. Si je gardais l'instrument, je changerai ces clefs par des Gotoh UPT avec un ratio de 1:4, apportant plus de précision.

L'esthétique du scarabée qui m'a été prêté par Matthieu est simple, rétro et élégante. A un mètre de distance, dans un vieux pub animé où la bière blonde coule à flots, on pourra peut-être croire que vous sortez un vieil ukulélé en acajou de l'après-guerre. C'est d'ailleurs amusant; quand on me parle d'une table en cèdre, je m'attends à découvrir une face avant couleur crème. J'oublie alors l’alchimie que peuvent produire teintures, huiles et vernis, trompant l’œil en magnifiant un rendu. Cela permet alors même de presque faire passer une essence de bois pour une autre.

Finitions

Le niveau de finition est globalement satisfaisant. Je note bien sûr des imperfections, car nous sommes sur un instrument assemblé 100 % à la main, avec un outillage et des équipements certainement encore modestes. Il y a donc des petits détails qui clochent légèrement, çà et là, sur ce petit soprano.

Je concède que j'adopte dans mon billet une certaine forme d'indulgence. J'avoue que je partagerai ces mêmes points avec un ton assez corrosif s'il s'agissait d'un ukulélé produit en grande série, dans des usines du bout du monde. Ma posture, nettement plus critique face aux grands manufacturiers, se justifie par le fait que ceux-ci ont le temps, les moyens et les ressources nécessaires pour faire un travail parfait. Aussi, ce mince traitement de faveur envers les petits artisans passionnés est pleinement assumé par votre hôte. Gardez toutefois ce 'biais' en tête en parcourant ma chronique.

Je me dois, bien sûr, de vous partager les lacunes qui me semblent les plus marquantes sur la finition du scarabée que j'ai en main :
- Une zone sombre au niveau du talon du manche, où les huiles, teintes se sont certainement un peu concentrées;
- De minces surfaces sur la table (autour du chevalet, du manche), où le vernis est moins uniforme;
- Le haut de la tête, entre les pointes, est rugueux. Le ponçage y est assez grossier, ce qui dénote étonnamment avec tout le reste.
Si je devais choisir entre plusieurs ukes de chez Caravelle, cette dernière étourderie signerait l'élimination de ce modèle. Les autres anomalies sont vraiment peu flagrantes. Je retourne le ukulélé à Matthieu cette semaine, il pourra alors peut être corriger cela en trois coups de lime et pinceau.

Vues du Caravelle Kitchen scarabée soprano, avr. 2021

Les cordes

Ce petit soprano a été monté avec des cordes en nylon noir (marque GHS). C'est un choix assez cohérent, en phase avec le coté vintage de l'instrument. Je salue le parti pris intéressant, bien que je n'apprécie personnellement pas ces cordes, beaucoup trop souples à mon goût. J'ai d'ailleurs un peu discuté de ce point avec le luthier, qui m'a confié préférer également les cordes fluorcarbones.

Qualité sonore et confort de jeu

Le scarabée est léger et parfaitement équilibré. Il se blottit facilement contre votre torse. Le manche me paraît très agréable, alors que je suis souvent un peu mal à l'aise avec les diapasons courts des sopranos, et leurs cases vite très étroites. L'intonation me semble correcte, mais j'avoue avoir eu du mal à la tester finement, du fait des mécaniques fermes et rigoureuses cumulées aux cordes nylon neuves et non stabilisées. La hauteur de ces dernières est satisfaisante et permet de jouer sans effort particulier, ni buzz agaçant. Le seul point qui m'a perturbé, lors de mes tests, était la souplesse de ces GHS. Elles semblent vouloir me fuir sous les doigts, et me font parfois faire des bends accidentels (donc vilains).

Ce soprano a de belles sonorités, qu'il projette avec une vraie conviction. Le mix entre profondeur, sustain et mediums/aigus très clairs fait que je l'ai trouvé parfois presque hypnotique, notamment en faisant tourner des accords basiques et gardant une corde en bourdon.

Je serais très curieux de savoir comment il sonne avec de bonnes cordes fluocarbones. Je pense que le basique nylon ne met pas assez en valeur toute la résonnance, les harmoniques qui peuvent être développés par l'instrument. Si je l'avais conservé quelques semaines, j'aurais testé ce petit gars avec un jeu Worth qui traine dans une de mes housses.

Prix par rapport au marché

Matthieu produit régulièrement des scarabées, sur un gabarit voisin, mais chacun de ses modèles est unique.
Je crois qu'il propose celui que je teste à 225 €. Ce n'est vraiment pas exagéré pour un ukulélé en bois massifs, notamment pour les essences en question ici (cèdre et acacia).

En se tournant vers le marché traditionnel, et les marques habituelles, je ne connais que quelques rares ukes (dans une gamme de prix voisine) qui pourraient supporter une comparaison de caractéristiques. Je pense, par exemple, à ces références : l'Ortega RUACA-SO tout acacia, le Flight MUS2 en acajou, le Cort BWS en blackwood (jouissant d'une belle renommée sur les forums). Je n'ai malheureusement eu en mains aucun de ces produits, et ne peux donc vous dresser un comparatif argumenté entre un Flight, un Cort et un Caravelle.
Sinon, on trouve usuellement à ces tarifs, des instruments dont seule la table d'harmonie est en bois massif.

Conclusion

Je ne donnerai pas de note dans ce billet, car le scarabée n'est resté avec moi que quelques jours et n'a pas subit grande comparaison avec d'autres compagnons à quatre cordes. Je préfère alors juste faire part de mon ressenti, de mes premières impressions.

Matthieu nous livre un bel instrument, clairement typé vintage. On perçoit que cet homme est autant un fin joueur de ukulélé qu'un luthier avisé, car il n'y a aucune fausse note majeure sur les éléments les plus importants : équilibre et gabarit du ukulélé dans son ensemble, finesse et confort du manche, etc.

On distingue la passion, mais aussi la modestie dans ce bel instrument, il est élégamment simple ou simplement élégant. (Je crois que je vais déposer ce gimmick !) 

Choisirais-je un Carvelle Kitchen plutôt qu'un ukulélé 'mainstream' ? Oui, je l'ai même déjà fait. J'ai un bien beau concert, que je vous présenterai dans les semaines à venir. De fait, un modèle de chez Kala, Cordoba, Lanikai, Bruko ou de toute autre marque de la 'ukusphére', qui présenterait des caractéristiques assez comparables, aurait sans doute une finition plus uniforme (même quasi parfaite). Certes, mais je n'aurais pas un instrument avec ce supplément d'âme, une authenticité unique, un son qui sort un peu des sentiers battus.

Garderais-je celui-ci précisément ? Non, ou j'aurais demandé à Matthieu de petites corrections avant de sauter le pas. Polissage parfait de la tête, remplacement des cordes GHS par des M600, installation de mécaniques à ratio (demandant moins de dextérité pour l'accordage), huilage de la touche à l'huile de citron, etc. Bien sûr, ce sont des actions rapides que tout le monde peut faire, mais quitte à acheter un instrument auprès d’un artisan, autant l'avoir à son goût précis immédiatement.

Au final, j'invite simplement tous les ukulélistes à faire un tour sur le site Caravelle Kitchen.